mardi 25 février 2014

Zoom sur Nina Bouraoui

Il faut que je vous parle de Nina Bouraoui.


Nina Bouraoui, lorsque j'en parle, lorsque je dis « c'est mon auteure préférée de tous les temps » (oui, je suis comme ça, moi), on me répond souvent « je ne connais pas ». Lorsque j'ai passé mon entretien pour la librairie où je travaille actuellement, le responsable m'a demandé : « s'il y a un seul livre que vous devriez conseiller, lequel choisiriez-vous ? ». Je n'avais absolument pas réfléchi à cette question. Alors, après quelques secondes de silence, j'ai dit « Mes mauvaises pensées, de Nina Bouraoui ». Je n'ai pas su justifier, j'ai un peu bredouillé. Il ne connaissait pas. Je peux justifier maintenant. 

Mes mauvaises pensées, c'est un roman qui a gagné le prix Renaudot en 2005. C'est un livre important pour moi, parce qu'il a provoqué beaucoup d'échos lorsque je l'ai lu. Je crois que c'était pour mes dix-sept ans, ma grand-mère m'a emmenée dans une Maison de la Presse, en Normandie. Elle m'a dit de choisir ce que je voulais pour mon anniversaire. Sur une pile, il y avait donc Mes mauvaises pensées. J'ai lu le résumé, ça semblait intéressant. J'ai ouvert la première page. Et j'ai lu :

Je viens vous voir parce que j?ai des mauvaises pensées. Mon âme se dévore, je suis assiégée. Je porte quelqu?un à l?intérieur de ma tête, quel­qu?un qui n?est plus moi ou qui serait un moi que j?aurais longtemps tenu, longtemps étouffé. Les mauvaises pensées se fixent aux corps des gens que j?aime, ou aux corps des gens que je désire, je me dis que l?histoire des tueurs commence ainsi, cela prend la nuit, jusqu?au matin. J?aimerais me défaire de mon cerveau, j?aimerais me couper les mains, j?ai très peur, vous savez, j?ai très peur de ce que je suis en train de devenir, je pense à A., le philosophe qui poignarda sa femme ; je crois que c?était comme dans un rêve pour lui, j?ai si peur que mon crime arrive ainsi, dans un demi-songe, dans un état où je ne contrôlerais plus rien.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/mes-mauvaises-pensees_820879.html#Tr231pJQuD1IkDJX.99
« Je viens vous voir parce que j'ai des mauvaises pensées. Mon âme se dévore, je suis assiégée. Je porte quelqu'un à l'intérieur de ma tête, quel­qu'un qui n'est plus moi ou qui serait un moi que j'aurais longtemps tenu, longtemps étouffé. Les mauvaises pensées se fixent aux corps des gens que j'aime, ou aux corps des gens que je désire, je me dis que l'histoire des tueurs commence ainsi, cela prend la nuit, jusqu'au matin. J'aimerais me défaire de mon cerveau, j'aimerais me couper les mains, j'ai très peur, vous savez, j'ai très peur de ce que je suis en train de devenir, je pense à A., le philosophe qui poignarda sa femme ; je crois que c'était comme dans un rêve pour lui, j'ai si peur que mon crime arrive ainsi, dans un demi-songe, dans un état où je ne contrôlerais plus rien. »

J'ai eu peur. Je me suis sentie mal. J'ai refermé le livre et puis je suis partie chercher autre chose. J'ai choisi Anna Gavalda, Ensemble c'est tout. Et puis en tournant dans le magasin, j'y suis revenue, à ce fichu bouquin. Un peu à contrecœur ; il me faisait peur tout en m'attirant irrémédiablement. Alors je l'ai pris aussi. Autant vous dire, ce n'est pas un roman léger. Ni facile à lire. Les phrases sont très longues, il n'y a aucun paragraphe, c'est sans pause aucune. Je me souviens l'avoir lu dans le train, principalement. C'est une femme qui s'adresse à son thérapeute.

C'est un roman qui parle entre autres de ce que l'on nomme les phobies d'impulsion. Les ruminations. La peur de commettre un acte inconsidéré, dangereux, quelque chose qu'on ne contrôlerait plus. La peur même d'avoir peut-être envie de commettre cet acte. Mais c'est aussi un récit qui parle d'amour et de désir, qui parle de l'identité, des questionnements sur la vie, sur le rapport aux origines, de l'Algérie, de la Bretagne. C'est un livre touchant, troublant. Nina Bouraoui est née d'une mère française et d'un père algérien. Et puis elle est amoureuse des femmes. Ce sont des thématiques que l'on retrouve régulièrement dans ses ouvrages, souvent qualifiés d'autofictionnels, hormis le dernier, Standard. En toute honnêteté, j'ai moins aimé celui-ci. Trop loin de moi, peut-être. Trop différent des autres. Je l'ai trouvé long. Malgré tout, j'ai retrouvé cette écriture que j'aimais tant, et j'ai été soufflée par la fin et il m'arrive encore d'y penser, quelques semaines après sa lecture, preuve en est qu'il a quelque chose, lui aussi.

J'ai lu tous ses livres. Du premier, La Voyeuse interdite, au dernier donc, Standard. Je reste bien sûr marquée par Mes mauvaises pensées, mais j'ai été extrêmement touchée par La Vie heureuse, qui raconte l'adolescence, l'amour caché pour Diane, la liberté, la Suisse. Je garde un joli souvenir de Poupée Bella qui se passe principalement dans le "Milieu des Filles" parisien - il est très court. Appelez-moi par mon prénom raconte l'amour entre une écrivaine et un de ses lecteurs, en hommage à Marguerite Duras et Yann Andréa. Garçon manqué est sur l'enfance, le fait de se sentir différent (tout est dans le titre et plutôt d'actualité...). Sauvage est l'histoire de la transition entre l'enfance et l'âge adulte à travers la disparition d'un jeune garçon et la vie de son amie, qui continue malgré l'absence. Et il y en a plein d'autres. Les premiers sont les plus sombres. 

Bref. Je m'embrouille, j'ai beaucoup de difficultés à en parler clairement parce que la plupart de ses livres m'ont énormément touchée, et j'espère que ce sera également le cas des prochains. Parce que toujours, quand j'y plonge, il y a cette avalanche d'émotions. Ce style si particulier qu'on aimera ou pas, rarement entre deux. Une écriture à la fois exigeante et poétique. Des livres qui bousculent.

Nina Bouraoui lors de la rencontre à la librairie

J'ai eu la chance de la rencontrer, parce que nous l'accueillions à la librairie il y a peu. Moi, tout intimidée, à lui dire « j'aime beaucoup ce que vous faites et je suis très impressionnée ». Elle a répondu qu'il ne fallait pas et elle a ri. Quand je lui ai parlé de ma première réaction face à Mes mauvaises pensées, elle a dit quelque chose comme « ne jamais résister à un livre ! ». Je m'excuse platement d'avoir fièrement clamé que j'avais un an lorsque son premier roman est sorti. C'est une auteure très humaine, abordable, qui sait malgré tout marquer la limite entre l'écrivain et ses lecteurs. Qui a pris le temps, pour chaque dédicace, de discuter avec les gens, de répondre à leurs questions, qui a accepté les photos. C'était une jolie rencontre. Qui m'a donné envie de relire Standard avec un autre regard. Quand j'aurai fini la pile de 30 livres (au moins) qui m'attendent.


(Je ne suis pas vidéaste et je n'aime pas les gens qui toussent, mais bon, ça vous donne un aperçu.)

Quand je l'attendais à la gare, je me disais « mais qu'est-ce que je fais là ? Je vais avoir l'air ridicule et ne pas savoir quoi lui dire. » et puis elle est arrivée et c'était soudain naturel. Mais classe. Voilà. C'était l'effet soleil breton.

Sur ce, lisez Nina Bouraoui, lisez les articles sur ses livres, regardez ses vidéos, découvrez, aimez ou n'aimez pas, mais réagissez. A la librairie, au rayon poches, il y a mon coup de cœur sur Sauvage, qui part doucement, mais que les clients achètent parfois. Après la dédicace, j'en ai profité pour garder en rayon quelques-uns de ses livres que nous n'avions plus, pour pouvoir les proposer. Même si je bafouille quand j'en parle, même si je ne trouve pas les mots. Parce que ses textes méritent d'être connus, un peu plus. (Vous l'aurez compris, je suis très admirative de son travail.)

Pour continuer :
Vidéo sur Le bal des murènes (mais là c'est surtout parce que ça date de 1996 et que ça me fait rire - si vous cherchez un peu, vous trouverez tous plein de vidéos d'Olivier Barrot qui a l'air d'être un grand fan.)
Elle est également parolière (qui sait, si un jour je deviens célèbre - oui, bon...).
Et y a un tas d'articles aussi, mais je suis fatiguée, maintenant. À vite.

Ah, et j'ai enfin bidouillé les commentaires pour que tout le monde puisse en poster donc ils sont les bienvenus !
 Je viens vous voir parce que j?ai des mauvaises pensées. Mon âme se dévore, je suis assiégée. Je porte quelqu?un à l?intérieur de ma tête, quel­qu?un qui n?est plus moi ou qui serait un moi que j?aurais longtemps tenu, longtemps étouffé. Les mauvaises pensées se fixent aux corps des gens que j?aime, ou aux corps des gens que je désire, je me dis que l?histoire des tueurs commence ainsi, cela prend la nuit, jusqu?au matin. J?aimerais me défaire de mon cerveau, j?aimerais me couper les mains, j?ai très peur, vous savez, j?ai très peur de ce que je suis en train de devenir, je pense à A., le philosophe qui poignarda sa femme ; je crois que c?était comme dans un rêve pour lui, j?ai si peur que mon crime arrive ainsi, dans un demi-songe, dans un état où je ne contrôlerais plus rien.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/mes-mauvaises-pensees_820879.html#Tr231pJQuD1IkDJX.99
Je viens vous voir parce que j?ai des mauvaises pensées. Mon âme se dévore, je suis assiégée. Je porte quelqu?un à l?intérieur de ma tête, quel­qu?un qui n?est plus moi ou qui serait un moi que j?aurais longtemps tenu, longtemps étouffé. Les mauvaises pensées se fixent aux corps des gens que j?aime, ou aux corps des gens que je désire, je me dis que l?histoire des tueurs commence ainsi, cela prend la nuit, jusqu?au matin. J?aimerais me défaire de mon cerveau, j?aimerais me couper les mains, j?ai très peur, vous savez, j?ai très peur de ce que je suis en train de devenir, je pense à A., le philosophe qui poignarda sa femme ; je crois que c?était comme dans un rêve pour lui, j?ai si peur que mon crime arrive ainsi, dans un demi-songe, dans un état où je ne contrôlerais plus rien.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/mes-mauvaises-pensees_820879.html#Tr231pJQuD1IkDJX.99

vendredi 21 février 2014

Nos mères - Antoine Wauters


« Elles nous aiment et elles nous détestent, voudraient n'avoir qu'un visage de joie mais ont les traits sculptés dans la détresse. Voilà pourquoi elles nous repoussent et nous enferment – PA ! – dans ce grand trou d'oubli que seul grand-père connaît. »

C'est un ouvrage inattendu que celui de ce jeune auteur belge. Un roman qu'on ouvre sur un conseil, parce qu'on nous a dit qu'il était « magnifique ». Et c'est vrai. Il est difficile de parler de ce livre.

C'est l'histoire de Jean, un petit garçon, dans un pays du Proche-Orient. Son père est mort, il vit avec sa mère, et il grandit, il cherche son amour et sa tendresse, il cherche à fuir la distance créée entre eux en s'inventant Charbel, en inventant Maroun, en inventant Luc la petite fille, qui sont toujours là pour lui, dans le grenier où il se cache. Il sait que tout est différent, il sait la guerre et la mort. Il sait aussi qu'on le prépare à quelque chose. Ce quelque chose, c'est le départ pour l'Europe, loin de la guerre, où il est adopté par Sophie. Sophie qui ne l'embrasse pas, ne l'enserre pas et l'effleure à peine, mais qui veut qu'il soit bien et qui espère chasser ses propres fantômes à travers lui. Sophie qui lui demande de l'appeler « maman », pour l'aider, pour que ça fonctionne, parce que Sophie est « fatiguée », « a besoin de dormir », parce qu'elle a toujours des excuses pour tout reporter, tout oublier.

Il y a dans ce récit tout en subtilité tant d'amour et de tendresse refoulés, il y a des cœurs qui se cherchent, des mères et des fils qui se perdent et se trouvent. Il y a l'espoir, il y a les mots pesés, doux et pourtant si forts. Et surtout, beaucoup, beaucoup d'émotions.

Verdier, 14,60€, 160 pages.